Complexité

Comprendre la science des systèmes complexes

Formes de la complexité 

La science de la complexité a cherché à distinguer de plus en plus finement les différentes formes de complexité. Des théoriciens de la complexité tels que Heinz von Foerster, Warren Weaver, John H. Holland et Klaus Mainzer ont opéré des distinctions très fécondes.

Machines triviales et machines non triviales selon Heinz von Foerster

Heinz von Foerster (1911-2002), un des fondateurs de la cybernétique de second ordre, distingue les machines triviales (TM) des machines non triviales (NTM).

Les machines triviales relient de manière immuable et sans faire de fautes des causes à des effets. Von Foerster exprime cette propriété par la formule Op(x)->y, où Op désigne l'opération, x l'input ou la cause et y l'output ou l'effet. 

A l'inverse, dans les machines non triviales, les opérations dépendent des états internes de la machine (z), états qui sont eux-mêmes influencés par les états précédents. La relation, dépendante de l'état interne (z), entre la cause (x) et l'effet (y) s'exprime par la "fonction d'effet": Opz (x) ->y. Les opérations d'une NTM peuvent aussi s'exprimer par une "fonction d'état": Opx (z) -> z', qui transforme un état z de la machine en un état z' en fonction de l'input.

Von Foerster calcule que si on part d'une telle machine non triviale comportant 4 symboles d'input et 4 symboles d'output, on obtient le résultat étonnant de 102466 attributions possibles.

 

Un tel modèle permet de comprendre pourquoi, pour des systèmes les plus simples, il est déjà presque impossible de faire, à partir de certaines grandeurs d'input, des prévisions fiables de grandeurs d'output. Selon von Foerster, on peut ainsi montrer "qu'on peut monter des machines non triviales pour lesquelles le problème d'identification ne peut être principiellement résolu de manière analytique. Il s'ensuit que l'espoir de déterminer les relations entre la cause et l'effet dans des machines non triviales ne peut être comblé" (1).

 

Heinz von Foerster résume la distinction entre les deux types de machine de la manière suivante:

- les machines triviales sont: 1) déterminées synthétiquement, 2) déterminables analytiquement, 3) indépendantes du passé et 4) prévisibles.

- les machines non triviales sont: 1) synthétiquement déterminées, 2) indéterminables analytiquement, 3) dépendantes du passé et 4) imprévisibles (2).

 

A ses yeux, l'utilisation du modèle des machines triviales pour chercher à comprendre les phénomènes humains conduit en général à des simplifications. Il faut au contraire reconnaître que le monde humain est essentiellement constituer de machines non triviales, ce qui amène à la question: "comment se comporter à l'égard d'un monde qui est analytiquement indéterminable, dépendant du passé et imprévisible?" Il voit trois réponses possibles: "1) Ignore la question; 2) Trivialise le monde 3) Développe une épistémologie de la non-trivialité" (3).

 

Bibliographie

 

 

(1) Heinz von Foerster (1990), "Kausalität, Unordnung, Selbstorganisation" in Kratky/Wallner (dir.), Grundprinzipien der Selbstorganisation.

(2) Heinz von Foerster (2005), "Entdecken oder Erfinden. Wie lässt sich Verstehen verstehen?" in Einführung in den Konstruktivismus, 8e édition, pp. 62-66.

(3) Op. cit., p. 66.

Systèmes physiques complexes et systèmes adaptatifs complexes selon John H. Holland

John H. Holland distingue deux types de systèmes complexes, qui présentent deux formes distinctes d'émergence: les systèmes complexes physiques (complex physical systems, CPS) et les systèmes complexes adaptatifs (complex adaptative systems, CAS).

 

1) Les systèmes complexes physiques

 

 

 

2) Les systèmes complexes adaptatifs

 

Les systèmes complexes adaptatifs sont eux-aussi auto-organisés mais se distinguent des systèmes complexes physiques par le fait que leurs éléments sont des agents, c'est-à-dire qu'ils ne répondent pas passivement aux événements: ils apprennent des transformations de leur environnement ainsi que des interactions avec les autres agents et s'adaptent à celles-ci.

Par exemple, un rayon laser est un CPS: il est auto-organisé, se modifie selon les transformations de son environnement; mais son processus d'adaptation ne repose pas sur l'apprentissage. A l'inverse, le cerveau d'un être humain réorganise en permanence ses milliards de connexions neuronales en fonction de ce qu'il a appris par son expérience. De même, les agents  qui achètent et vendent sur un système financier adaptent leur stratégie en fonction du changement des prix du marché. 

Les systèmes complexes adaptatifs se caractérisent par des propriétés fondamentales:

a) L'auto-organisation n'est pas centralisée. Les agents réagissent constamment à ce que les autre agents font de sorte que le contrôle se diffuse dans tout le système. Les interactiosn entre les agents mènent à l'émergence de comportements cohérents.

b) Un CAS comporte plusieurs niveaux d'organisation. Les agents constituent les blocs de construction pour des agents d'un niveau supérieur. C'est ainsi que des travailleurs constituent une unité de production qui, elle-même, est un bloc de construction de l'usine.

c)

d) Les CAS anticipent l'avenir. Ils font des prédictions implicites ou explicites à partir de leur modèle du monde.

 

 

Bibliographie

 

John Holland (2014), Complexity. A Very Short Introduction, Oxford

Les différentes formes de la complexité selon Klaus Mainzer

 

Bibliographie

 

Klaus Mainzer, Komplexität, Paderborn

Simplicité, complexité désorganisée et complexité organisée selon Warren Weaver

Dans un article fondateur de 1948, "Science and Complexity", Warren Weaver distingue trois types de complexité et trois types de problèmes qui leur sont associés (Weaver 1948)

 

1) Problèmes de simplicité

 

Ce sont les problèmes qui ont été abordés par la science du XVIe au XIXe siècle. Dans de tels systèmes, les éléments varient selon au maximum deux variables. La complexité concerne ici les machines triviales, telles que le téléphone, l'automobile, le phonographe, la radio. Ces problèmes peuvent en règle générale être résolus par une intervention ponctuelle, par exemple le changement d'une pièce de la machine.

 

2) Problèmes de complexité désorganisée

 

Les systèmes vivants étudiés par la biologie et la médecine présentent d'autres caractéristiques: "les problèmes significatifs des organismes vivants sont rarement des problèmes où on peut tout maintenir constant sauf deux variables". Les systèmes de complexité désorganisée varient selon une grande quantité de variables. En raison de cette multiplicité de variables, les transformations de ces systèmes ne peuvent être reconduites au comportement des éléments; elles ne peuvent être décrites qu'en prenant en considération le système dans sa totalité: "les problèmes biologiques et médicaux impliquent souvent la considération d'une totalité organisée de manière plus complexe". Les systèmes de complexité désorganisée peuvent être étudiés à partir de méthode statistique et de calculs de probabilité.

 

3) Problèmes de complexité organisée

 

Les systèmes doués de complexité organisée présentent eux aussi un nombre élevé de variables. Mais, par rapport aux problèmes de complexité désorganisée, les problèmes de complexité organisée se caractérise par le fait que les variables sont reliées entre elles de manière multiple. Ce sont "tous les problèmes, nous dit W. Weaver, qui imposent de traiter un nombre important de facteurs qui sont reliés les uns les autres en une totalité organisée" (Weaver 1948: 5). Les disciplines qui cherchent à étudier l'agir humain (la psychologie, la sociologie, la politique, l'économie, etc.) ont affaire à ce type de problèmes.  

 

Bibliographie

 

Warren Weaver (1948), "Science and Complexity", American Scientist, 36, http://people.physics.anu.edu.au/~tas110/Teaching/Lectures/L1/Material/WEAVER1947.pdf